À propos de : Une Histoire engagée de l’enseignement professionnel de 1984 à nos jours, de Daniel Bloch
Éditions PUG, Grenoble, 2023, 156 pages.
Daniel Bloch est un ingénieur physicien grenoblois. Il a été président de l’Institut polytechnique et de l’Université Joseph Fourier de Grenoble, recteur d’académie et directeur des enseignements supérieurs. De Jean-Pierre Chevènement à Najat Vallaud-Belkacem, il a accompagné de nombreux ministres de l’Éducation nationale dans le développement des enseignements professionnels. Père du baccalauréat professionnel, il a également contribué à l’introduction des classes de 4e et 3e technologiques comme professionnelles, puis à celle des classes de 3e de découverte professionnelle. Très impliqué dans le déploiement du plan Université 2000, il a aussi soutenu la mise en place et le développement des campus des métiers et des qualifications. Il a activement participé à faire entrer la philosophie en lycée professionnel.
Recension d'ouvrage réalisée par Marie Devertu, proviseure adjointe dans l'académie de Bordeaux et experte associée à l'IH2EF.
Contexte d'édition
"Une histoire engagée de l'enseignement professionnel" de Daniel Bloch est un ouvrage qui explore l'évolution de l'enseignement professionnel à travers les époques. L'auteur examine les différentes politiques éducatives, les réformes et les pratiques pédagogiques mises en place dans le domaine de l'enseignement professionnel.
La simple table des matières est en elle-même une frise chronologique thématisée de l’histoire de l’enseignement professionnel et rappelle avec beaucoup de logique les grandes étapes de l’histoire de l’enseignement professionnel.
Le "père du bac pro" (c’est ainsi qu’est dénommé Daniel Bloch qui a présidé la Mission nationale École-Entreprise installée en 1984 et qui a fait des propositions dont l’une portait sur la création du baccalauréat professionnel) développe à la fois l’histoire vécue de l’intérieur et met en perspectives les enjeux du déploiement de l’enseignement professionnel en France, non sans donner des points de comparaison avec d’autres systèmes scolaires comme celui des Landër allemands.
Il met en lumière les enjeux socio-économiques et politiques qui ont façonné ce secteur de l'éducation, ainsi que les défis auxquels il est confronté. À travers des analyses qui se veulent donc historiques et des anecdotes politiques qui offrent une vision des coulisses des grandes actions éducatives de la France, l'auteur rédige une chronologie critique sur l'enseignement professionnel sans oublier de proposer des pistes de réflexion pour son avenir.
Idées clés
L’évolution historique de l’enseignement professionnel est mise en lumière.
L'ouvrage explore l’histoire de l'enseignement professionnel à travers les différentes époques, mettant en avant les changements structurels, les réformes et les politiques éducatives qui ont marqué son développement. L’auteur démontre que la problématique qui anime les évolutions de l’enseignement professionnel est identique depuis 40 ans : réconcilier l’économie et ses besoins avec la formation professionnelle. L’atteinte de cet objectif de réconciliation repose sur des politiques éducatives et des hommes politiques engagés. Les décisions gouvernementales sont égrenées et commentées avec une connaissance fine des acteurs qui ont présidé au déploiement de l’enseignement professionnel. En vrai serviteur de l’État, Daniel Bloch salue le travail engagé, y glisse des nuances perceptibles quant aux méthodes employées mais reste d’une loyauté totale y compris lorsqu'il s’agit de décrire les enjeux socio-économiques qui évoluent au fil des priorités économiques des différentes décennies. Qu’il s'agisse de la formation de la main-d'œuvre, de l'adaptation aux besoins du marché du travail ou de la promotion de l'ascenseur social, la part belle est laissée aux différents textes législatifs, aux enquêtes des inspections générales, aux caps fixés par des ministres, de droite ou de gauche confondus. Même s’il se pose en instigateur ou en visionnaire, il remet en contexte un travail sur le temps long et collaboratif. Sans complaisance et avec beaucoup de recul et d’anecdotes, notamment fondées sur son expérience de recteur, les pratiques pédagogiques sont aussi décortiquées. L'auteur analyse rapidement celles-ci, en examinant leurs évolutions pour répondre aux besoins des apprenants et aux exigences du monde professionnel. Il ne s’appesantit pas sur la réalité de leurs mises en œuvre car il souhaite identifier les défis contemporains liés aux enjeux de l’enseignement professionnel : la technologisation, la mondialisation, les changements dans les compétences requises par le marché du travail et les inégalités sociales qui se creusent sont tour à tour abordés pour dépasser les constats, justifier les inclinaisons des réformes et éclairer le sens global de la gouvernance. Il délivre une vision et des perspectives sur l’avenir de l’enseignement professionnel. Il prend le soin de suggérer des grandes pistes pour améliorer la qualité de l'éducation, renforcer l'employabilité des apprenants et favoriser l'inclusion sociale.
Forces de l'analyse proposée
- Une approche historique approfondie : l'ouvrage propose une analyse historique détaillée de l'enseignement professionnel, ce qui permet aux lecteurs de comprendre l'évolution du domaine à travers les époques. Son principal acteur y décrit les actions et les personnalités croisées avec vivacité et à l’aune de ses souvenirs.
- Des discours ou des morceaux choisis dans leur intégralité : les sources citées sans commentaire de l’auteur mais précédées ou suivies de son analyse ou de son intention de démonstration en font un ouvrage intéressant car délivrant la source et permettant d’exercer sa propre lecture.
- L’ouvrage se veut un essai critique et engagé : ce qui enrichit l'analyse en permettant d'explorer les enjeux sociaux, politiques et économiques liés à l'enseignement professionnel.
- Réflexion sur les enjeux contemporains : l'auteur identifie les défis actuels de l'enseignement professionnel et propose des réflexions sur la manière de les aborder, ce qui rend l'ouvrage pertinent pour les praticiens, les chercheurs et les décideurs politiques. Ce sont des avis enrichis par l’expérience.
- Approche interdisciplinaire : l'ouvrage intègre des données et des analyses provenant de différents domaines tels que l'histoire, la sociologie et l'économie, ce qui permet une analyse riche et nuancée de l’histoire de l'enseignement professionnel.
- Des pistes pour l’avenir : l'ouvrage stimule la réflexion sur les possibilités d'amélioration du système éducatif de la voie professionnelle et sur les moyens de répondre aux besoins changeants de la société et de l’économie.
Faiblesses de l'analyse proposée
- Possibilité de biais idéologique : il existe un risque que l'analyse soit influencée par les convictions politiques ou idéologiques de l'auteur, ce qui pourrait limiter la neutralité de l'analyse. C’est clairement un excellent récit chronologique de l’histoire de l’enseignement professionnel, vu de l’intérieur par le "père du bac pro". Guidé par ce qui a été le travail d’une vie, aucune critique facile des politiques menées ne surgit, il est fidèle et loyal à l’ensemble des actions menées pour le développement de l’enseignement professionnel et de la voie pro, mais il marque subtilement ses désaccords en restant évasif sur, par exemple, les dernières réformes de la transformation de la voie professionnelle. Il propose néanmoins de grandes pistes de travail avec beaucoup de clarté.
- Complexité de la forme et du récit historique : certains lecteurs pourraient trouver que l'ouvrage utilise la chronologie comme fil conducteur, donnant à ceux qui sont hermétiques à l’histoire l’envie de n’y voir qu’un simple récit d’empilement des réformes et des actions de l’État en ce domaine.
- Peu de données empiriques ou d’indicateurs probants : bien que l'ouvrage propose une analyse théorique et historique approfondie, des indicateurs clairs sont trop peu présents, quelques graphes simplement illustratifs sont présents et les grands chiffres du domaine d’intérêt sont cités dans le corps du texte. Le choix éditorial s’est plutôt porté sur la sélection scrupuleuse des textes de loi ou d’extraits de rapports officiels, de discours politiques, etc.
L’ouvrage présente un intérêt particulier pour les cadres de la fonction publique, il permet en effet :
- une compréhension des politiques éducatives qui se sont succédé afin de faire de l’enseignement professionnel à la fois un système formatif et insérant, tout en répondant aux besoins des industriels/secteurs économiques français ;
- une perspective critique sur le système éducatif : les tentatives plus ou moins abouties de la valorisation de la voie pro, ainsi que la recherche permanente pour améliorer l'efficacité et la pertinence de l’enseignement professionnel démontrent le tâtonnement des politiques publiques, leurs revirements ou le temps nécessaire à l’adhésion. Daniel Bloch n’hésite pas à pointer ce qui ne fonctionne pas ou plus ;
- une identification des besoins en formation : Daniel Bloch démontre très clairement les besoins en formations de ce secteur de l’enseignement public, il interroge sur les mesures nécessaires à prendre ou à soutenir ;
- une réflexion sur les politiques publiques : promouvoir le développement de compétences attendues par le monde économique, l'employabilité et l'inclusion sociale restent au cœur des actions publiques mais se perdent sur le temps long, des objectifs définis en 1984 sont tout à la fois toujours d’actualité et non atteints ;
- une amélioration de la gestion des ressources humaines : en filigrane, ce thème est suggéré sans être frontalement abordé si ce n’est sur ce qui est nommé "les résistances de l’intérieur" - comprendre les syndicats tant des secteurs économiques que de l’enseignement.
Cet ouvrage est éclairant car c’est un magistral cours d’histoire sur l’enseignement professionnel vécu de l’intérieur, raconté par un proche des décideurs nationaux, un homme qui a ciselé l’enseignement professionnel français. Ce n’est toutefois pas un panégyrique à son œuvre car il rétrocède à chacun des grands acteurs du secteur leurs décisions ou leurs volontés, et ce par-delà le clivage gauche-droite. Le débat est élevé au-dessus de considération partisane, affirmant que l’enseignement professionnel n’est le pré-carré d’aucune formation politique ni le prisonnier d’aucune idéologie. Il y brosse aussi, sans complaisance, le portrait de travaux inachevés et préconise avec simplicité 5 grandes orientations ou 5 constats à dépasser :
- 27 novembre 1985, le journal Libération titre : "Six mois pour jeter un pont entre l’école et l’entreprise". Ce simple rappel permet de se demander le pourquoi d’un temps si long, ou d’un pont démesurément infini... 40 ans que ces éléments de langage perdurent ;
- la question du manque d’ingénieurs rompus aux méthodes de la recherche scientifique, la formation d’ingénieurs-technologues qui auraient besoin de voir prolonger le BUT de deux années de plus : "aura-t-on la force ou le courage ?" demande-t-il. Ceci consacre la problématique du continuum du bac -3/+3 à l’issue de la voie professionnelle ;
- les campus des métiers et des qualifications à la recherche d’un second souffle et de la nature originelle de leur création : des outils pour la reconstruction et la promotion de l’enseignement professionnel et du développement territorial là où ils ne sont plus que bannières ;
- philosophie et voie professionnelle : elle constitue l’outil le plus efficace en termes d’intégration républicaine pour parler des religions, du droit des femmes, du racisme, de la liberté d’expression, du sens de l’école, etc. Pourquoi encore un simple atelier, une option ou une expérimentation après toutes ces années demande l’auteur ?
- la nouvelle étape de la transformation de la voie professionnelle nécessiterait la création par dizaines de milliers de places supplémentaires STS associée à une politique de quotas, favorisant ainsi l’entrée des bacheliers professionnels et celle des bacheliers technologiques.
Surtout, ce que souhaite Daniel Bloch, c’est que l’on s’interroge sur les formations dispensées en bac -3/+3 afin que les modes de formation se conforment à ce que sont les bacheliers plutôt qu’on exige d’eux qu’ils se conforment à ce qu’ils ne sont pas : échec assuré en post-bac et de l’élévation du niveau tant attendue.
Les pistes de réponses n’étant pas ébauchées, nous ne pouvons qu’avoir hâte de lire … le livre suggéré ci-dessous.
Dernière remarque : le choix de la dédicace du Livre qui prend tout son sens une fois la lecture achevée : "À Baruch Spinoza, Philosophe et tailleur de verre". Clin d’œil malicieux à l’optique et à l’éthique, hommage à une vision tout aussi intellectuelle et artisanale des grandes questions qui agitent le monde éducatif de la voie professionnelle : enseigner pour faire, enseigner pour produire. Convoquer Spinoza c’est d’une part, consacrer l’optique, qui marque son temps en imposant une nouvelle vision du monde et encourager l’éthique d’autre part, qui vise patiemment à la transparence donc à la justesse de la vision.
Pour aller plus loin
Au printemps 2023, le président de la République Emmanuel Macron a déclaré qu’il voulait faire de la réforme des lycées professionnels "une grande cause nationale". Une annonce dont se sont réjouis les acteurs de la voie professionnelle. Un consensus rapidement brisé, les mesures avancées étant loin de répondre aux multiples difficultés de cette filière qui concentre les élèves les plus fragiles.
Pour Daniel Bloch, "père" du baccalauréat professionnel, le temps est venu de bâtir une voie professionnelle complète, cohérente et ouverte, attractive, amorcée à la sortie du collège et susceptible de conduire jusqu’à un master à caractère professionnel.
Convaincu des enjeux économiques et sociétaux que représente cette voie, Daniel Bloch prend ici la parole sans détour. Après un état des lieux précis de la situation, il présente quatre propositions, aussi pragmatiques que stratégiques, pour remettre l’enseignement professionnel en ordre de marche.